L’Après en Outre-mer : Et maintenant ? par Willy Angèle, Directeur général du GEIQ Archipel Guadeloupe et Président de l’IUT de Guadeloupe
Outremers360 vous donne la parole et partage le sentiment des acteurs socio-économiques des territoires d’outre-mer, en cette période post-pandémie. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Willy Angèle, Directeur Général du GEIQ Archipel Guadeloupe et le Président de l’IUT de Guadeloupe.
Une crise économique et sociale sans précédent et une formidable occasion à saisir pour s’inventer un destin.
La crise généralisée qui a été initiée par le confinement planétaire et la mise à l’arrêt de l’économie Mondiale va profondément impacter l’Outre-mer français. Cette crise devrait même remettre en question, de façon irrémédiable, le modèle du Comptoir de Consommation qui a fondé le développement économique et social des territoires d’Outre-Mer depuis la fin de la fin de la seconde guerre Mondiale.
Ce modèle ne résulte pas, d’une approche stratégique délibérée. Il s’avère plutôt être la résultante de la mise en œuvre des concepts de rattrapage social et de pleine égalité de tous les citoyens français. Aujourd’hui à bout de souffle, ce système a atteint ses limites et se caractérise par ses effets pervers que nous pourrions résumer en 3 points :
Une forte incitation à la mise en place de stratégies de rente de situation au détriment de l’innovation et des investissements productifs.
Une déconnexion des sociétés de ces territoires des réalités économiques. Cette situation est due au fait que ces économies ont fonctionné pendant des décennies « sous cloche », avec une structure où l’essentiel des ressources ne dépend pas de la performance et de l’attractivité du territoire, mais de l’intensité des transferts publics de l’Etat.
Une déresponsabilisation des acteurs locaux envers le développement du territoire, celui-ci se réalisant principalement sous l’impulsion du pouvoir central.
Bien sûr, le degré de corrélation du modèle décrit avec la réalité du territoire varie selon les Pays d’Outre-Mer. A ce titre, 2 territoires ultramarins, Saint Barthélémy et la Nouvelle Calédonie, ne s’intègrent pas dans ce modèle.
Cinquante années de persévérance et de travail ont permis à Saint-Barthélémy, une petite île de 20 km2 de l’Archipel antillais, de s’extirper de la politique du rattrapage social pour construire sa richesse en se fondant sur l’attractivité touristique et résidentielle de son territoire. Et cette stratégie de développement lui a permis de devenir aujourd’hui l’un des points de rencontres les plus prisés de la Jet Set Mondiale.
En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, ses gisements du nickel lui ont donné un fort potentiel de développement propre qui, ajouté à sa singularité institutionnelle et son processus d’autonomisation, lui permettent d’avoir une structure économique moins tributaire des transferts publics.
Hormis ces 2 exceptions, le modèle du Comptoir de Consommation décrit précédemment me semble encore pertinent pour l’ensemble de l’Outre-mer. Et c’est pour cette raison que la crise à venir impactera fortement tous ces territoires, en les contraignant à se donner une vision pour construire leur développement sur d’autres ressources fondamentales que les transferts publics.
Pour illustrer mon propos, je vais prendre l’exemple d’un des territoires que je connais le mieux, la Guadeloupe. Ce département va être touché par la crise à venir de 3 façons :
Le premier choc sera généré par la baisse drastique de l’activité touristique.
Le second choc, plus durable, viendra de la diminution de l’offre de sièges à destination de la Guadeloupe. Ce qui pénalisera durablement la reprise du secteur touristique.
Le troisième choc, lui systémique, viendra de l’incapacité du pouvoir central à compenser, par les transferts publics, la réduction importante des flux financiers issus de l’activité touristique.
Pour mieux comprendre les effets régionaux de la crise à venir, prenons quelques chiffres. Le tourisme génère environ 1 milliard € de flux financiers primaires dans l’économie de ce territoire. Ce qui en fait la première activité exportatrice, loin devant l’industrie et l’agriculture qui génèrent 280 millions € de flux. De façon schématique, on peut alors dire qu’avec 3 milliards € de transferts publics, 1 milliard € généré par l’activité touristique et 280 millions € d’exportations de biens matériels, l’économie guadeloupéenne génèrent un PIB de 9 milliards… grâce au coefficient multiplicateur de la consommation locale.
Compte tenu de la crise qui s’annonce, nous pouvons raisonnablement estimer qu’en 2020, les revenus de l’activité touristique seront au mieux de 200 millions €. L’impact sur l’économie du territoire sera terrible : le PIB du département devrait se réduire de plus de 1 milliard €, soit une contraction supérieure à 11 % ! Sauf lors de la seconde Guerre Mondiale, la Guadeloupe n’a pas connu un tel choc économique.
Et, à titre de comparaison, la récession économique, à la suite des évènements de 2009, ne fut que de 4,8 %.
La gravité de cette situation va être de plus exacerbée par le fait que ni l’état Central, ni les collectivités territoriales, ne seront en capacité financière de mettre en place des politiques d’investissements permettant d’annuler les effets de la récession économique.
C’est pour cette raison que la capacité des acteurs du territoire à créer une vision de développement ambitieuse, mobilisatrice, va être un enjeu de stabilité et de cohésion sociétale.
Face à une crise aussi globale, aussi intense que celle que nous connaitrons en cette fin d’année 2020, tant à l’échelle locale que nationale et internationale, l’espérance et la confiance seront des facteurs-clés de l’économie. Et la formalisation d’un projet et d’un avenir pour le territoire peut permettre de construire cette espérance et cette confiance.
L’autre élément-clé sera le sens des responsabilités des acteurs…, de tous les acteurs, du territoire. C’est à ce prix que nous pourrons, peut-être, surmonter le choc économique et social à venir.
Et c’est justement là que se situe le point positif de la situation.
Pour troisième fois dans son histoire l’outre-mer français aura l’occasion de se réinventer. Après avoir été un ensemble de colonies d’exploitation, après avoir bénéficié du rattrapage social, se présente la potentialité de construire un devenir délibéré, économiquement soutenable et socialement épanouissant. Saurons-nous saisir cette opportunité ?
L’avenir nous le dira. Mais quel que soit notre futur, il nous sera difficile de dire que nous ne savions pas que nous avions, là, une possibilité de construire et de saisir notre Avenir.
Biographie :
Diplômé de l’ESLSCA, titulaire d’un DESS Contrôle de Gestion et d’un DEA de Droit des Affaires comparé et de Géopolitique, Willy Angèle est actuellement le Gérant Fondateur de WPCONSEILS Cabinet de Conseil en Management stratégique et Développement du Territoire.
Il est aussi le Directeur Général du GEIQ Archipel Guadeloupe et le Président de l’IUT de Guadeloupe.
Acteur engagé du monde Entrepreneurial, il fut le président du Medef Territorial de Guadeloupe de 2007 à 2013 et membre du Bureau Exécutif National du Medef de 2009 à 2012.
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Auteur : J.-T